Skieurs de l’impossible, ces petits voyous couillus

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Quelques nouveaux furieux tranquilles, skieurs de l’impossible font évoluer le ski extrême

Ils ont l’air paisibles, ces skieurs de l’impossible, un brin moqueur sous leur casquette rose et derrière leurs verres fumés – roses aussi parfois – surf ou skis aux pieds, les alpinistes arrogants au vestiaire. Leur musique ? Celle des fumeurs de haschisch – Leur came ? La montagne, la pente raide, l’alpinisme sérieux et le ski tolérance zéro. Nous sommes à la fin des années 1990 et, à Chamonix, quelques furieux sales gosses nommés Sam Beaugey, André-Pierre Rhem, ou encore Jérôme Ruby défient les lois du possible et font évoluer l’extrême.

Skieurs de l'impossible, ces petits voyous couillus Sam Beaugey, André-Pierre Rhem, Marco Siffredi ou encore Jérôme Ruby crédit AFP
Skieurs de l’impossible, ces petits voyous couillus Sam Beaugey, André-Pierre Rhem, Marco Siffredi ou encore Jérôme Ruby crédit AFP

La scène se passe au Brévent (2525m), tour carrée qui domine
Chamonix et desservie par l’un des plus vieux téléphériques français. L’installation possède deux tronçons. L’un, au ras de la forêt, relie la capitale mondiale de l’alpinisme à l’alpage de Planpraz. Le second s’envole d’un jet jusqu’au sommet du Brévent, sans pylônes, au-dessus d’un vide de près de trois cents mètres. André-Pierre a passé la nuit dans son duvet, à Planpraz, couché sur le toit de la cabine du téléphérique. La blague qu’il a mijotée réclame une certaine discrétion.

À 9 heures du matin, la benne quitte le quai. À son bord, touristes et skieurs s’extasient devant le paysage: toute la chaîne du Mont-Blanc, SOUS un ciel bleu foncé. Certains serrent les fesses. Être suspendu en plein vide, dépendant de ce mince câble, n’est pas toujours vécu comme un enchantement. La cabine file en silence vers la cime. Quand soudain, un cri effroyable: un homme tombe, les bras en croix, du toit de la cabine ! Dédé jubile.

Linceul des Grandes Jorasses pente suspendu de la face nord
Linceul des Grandes Jorasses pente suspendu de la face nord crédit image Philippe Duhamel

Il est déjà loin sous ses victimes, quand son parachute s’ouvre et lui permet de se poser en douceur dans les éboulis du couloir du Brévent. Quelques jours plus tôt, il a fait le même coup au-dessus de la vallée Blanche. A part que là, il était dans la cabine quatre places qui relie l’aiguille du Midi à la pointe Helbronner. Avec lui, trois touristes d’un certain âge, aussi émerveillés qu’un brin tendus.

Putain ! s’écrie Dédé, faut pas rester là-dedans! Ça va tout lâcher!

André-Pierre Rhem

Et de sauter par la fenêtre de la cabine…
On imagine la tête de ses voisins de route:
André-Pierre Rhem, Jérôme Ruby, Daniel Forté, Samuel Beaugey, Fred Vimal… une nouvelle génération, skieurs de l’impossible, douée, insolente, insouciante. La montagne qu’ils pratiquent n’est pas héroïque. Ils sont les pères spirituels de l’alpi­nisme d’aujourd’hui, qui se regarde en écoutant du reggae, pas du Wagner.

Grandes Jorasses : s’il est un nom qui symbolise le combat homérique de l’homme et de la montagne, c’est bien celui-là. Muraille sans pitié de douze cents mètres de haut, théâtre d’exploits comme de drames, de luttes interminables, telle celle de René Desmaison et Serge Goussault, quinze jours en plein hiver, qui seront fatals au jeune alpiniste niçois. On retrouve René Desmaison dans les annales des Grandes Jorasses en 1968. Après huit jours, il atteint, en compagnie du Pyrénéen Robert Flematti, le sommet du Linceul, nom charmant pour désigner un rideau blanc qui pend sous la pointe Walker.

Inédite cette image (scannée sur Montagne mag) de Sam Beaugey à skis, et Jérôme Ruby en snowboard dans le Linceul des Jorasses, le 5 mai 1995, a été prise depuis le refuge du Couvercle, à travers la longue vue du gardien Michel Tavernier. Les deux glisseurs n'avaient pas d'appareil photo.
Inédite cette image (scannée sur Montagne mag) de Sam Beaugey à skis, et Jérôme Ruby en snowboard dans le Linceul des Jorasses, le 5 mai 1995, a été prise depuis le refuge du Couvercle, à travers la longue vue du gardien Michel Tavernier. Les deux glisseurs n’avaient pas d’appareil photo.

5 mai 1995 : deux plaisantins attachés à un bec rocheux taillent une étroite plate-forme sous l’arête des Hirondelles. «On est dans la face nord des Grandes forasses, lâche Jérôme Ruby, c’est fou! » À côté de lui, Sam Beaugey chausse son ski aval, tâte la neige. «Le Linceul, c’est des lignes de fuite qui t’attirent vers le bas. Un toboggan. Cette pente est suspendue dans la face, et pour cette raison, elle exige plus de concentration. »

Jérôme est en snowboard. C’est lui qui déclenche les hostilités: «Au moment où j’ai chaussé le surf, j’étais dos à la pente. Je me suis retourné pour me préparer à descendre. Et c’est seulement là que j’ai vu la pente plus abordable. J’étais presque plus à l’aise. »

Il va faire toute la descente en tête, sur une pente à près de 60°, où la glace affleure. Sam Beaugey le suit à skis, se décalant pour ne pas lui envoyer de blocs de neige.

L’histoire de ces sales gosses skieurs de l’impossible racontée par Sam Beaugey

Même si cette descente a un goût d’inachevé – tout le bas de la pente, une longue goulotte de glace à 80°, imposant l’usage de la corde – c’est un des coups les plus gonflés de l’histoire du ski extrême.

Skier la face nord des Grandes Jorasses ! Encore un pan de l’alpinisme héroïque qui s’écroule. Pas de photos parce que pas de photographes, pas de médias. Ceux-là ont leurs règles, simples: « C’est notre mode de vie. On est une bande de copains. On ne fait pas ça pour se valoriser par rapport aux autres. On fait ça pour se faire plaisir ensemble. »

Même si le propos de ce livre est plus le ski que le snowboard extrême,
comment ne pas évoquer le parcours éclair de Marco Siffredi, jeune surfeur prodige Chamoniard rebelle, auteur du second parcours du Nant Blanc et de l’incroyable descente du couloir Norton, qui plonge du sommet de l’Everest sur deux mille mètres de haut, avec des pentes à 45° ? A vingt-trois ans, en tentant une nouvelle folie du sommet du toit du monde, le couloir
Horbein, Marco disparaît à jamais.

Je conseille son DVD poignant « Marco Étoile Filante » en vidéo ici

Avant lui, Bruno Gouvy avait ouvert la voie du surf pentu. Même cause, même effet Bruno bascule dans le grand vide, du sommet de l’aiguille Verte, poussé par sa passion. Comme un gag, il s’était payé la Niche des Drus, « coup de pouce de géant » incrusté dans la face nord de la montagne. Joueur, le bonhomme avait rejoint le sommet en parapente, catapulté à 5000 mètres depuis un hélicoptère…

Le Chamoniard Eric Bellin réussit lui aussi quelques jolis coups, comme la branche de droite du couloir en Y à l’aiguille Verte (55°), ou les premiers enchaînements dans la journée sur la face nord de l’aiguille du Midi.

Le père d’André-Pierre Rhem Gilbert, était directeur sportif dans un centre de vacances et sa mère, Volga, intendante. Quand les clients descen­daient du bus le dimanche matin, il leur jetait des pierres. Il aurait même pissé dans la boîte de lait livrée avant le petit-déjeuner… lol

En grandis­sant, il était devenu le plus charmant des garçons. Car, là aussi, il faut parler au passé: le 20 avril 2004, emporté par une plaque à vent, il rejoint son ami Fred Vimal au cimetière d’Argentière. Il avait alors arrêté les jeux extrêmes, se consacrant à son métier de guide autour de la planète. Lourd tribut payé à la montagne.

Skieurs de l’impossible, Jeunesse sans interdit, vies stoppées net. Mais quelles vies !

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