Est-il encore utile de présenter Jean-Marc Boivin ? 1987 : dix ans que Daniel Chauchefoin a Presque définitivement scellé les limites du ski extrême avec sa descente de la face nord des Courtes paria voie des Autrichiens, encore reconnue par Tardivel comme la plus raide lamais descendue. Jean-Marc Boivin, touche-à-tout en matière de faux pas Interdits, excelle en ski et réalise au printemps 1987 un enchaînement à la jounée des plus étonnants de l'histoire: première de la face sud-est de l'aiguille du Moine, le versant sud du Dru, le Whymper à la Verte et la nord-est des Courtes.
Question conception de l'aventure, I'homme répond banco :
« Dés l'instant où ne met pas sa vie en jeu, l'aventure perd toute sa saveur. L'escalade en falaise, pour moi, c'est l'équivalent de la gymnastique : c'est Joins a la roulette russe avec des caramels, ca manque d'intérêt. ll faut vraiment mettre sa vie sur la table. L'alpinisme en solo intégral, c 'est dangereux certes, mais, en principe, on est statique, on a toujours 3 points d'appui. Je préfère le ski extrême : c'est plus risqué parce que plus aléatoire. Il suffit d'un petit petit centimètre de neige sur de la glace dans un virage, et on va en bas, c'est radical. »
Jean-Marc Boivin dans Libération, 18 août 1987
Le français charismatique était sur la voie d'une vie plus traditionnelle quand il a commencé à faire de l'escalade et du ski alors qu'il était adolescent. En 1973, il avait 22 ans et était diplômé de l’École nationale de ski et alpinisme de Chamonix (École nationale de ski et d’alpinisme de Chamonix). Peu de temps après, il évitait les vestiges d'une vie plus domestiquée et se consacrait à l'aventure.
Un examen des réalisations de Jean-Marc Boivin se lit comme s’il était dans une partie de poker à gros enjeux… contre lui-même. Toutes les ans, il soulevait les difficultés, les risques et sans doute la récompense. À partir du début des années 1970, il a commencé à accumuler les premières ascensions techniques dans les Alpes. À la fin des années 70, il suivait des ascensions très techniques avec des premières descentes de ski historiques. Puis, dans les années 1980, Boivin fut l’un des premiers alpinistes à enchaîner les montées par des descentes rapides, par le ski, le parapente ou le deltaplane, pour enchaîner la prochaine ascension. Il était rapide, techniquement compétent, élégant et courageux.
Deux diamants sont à extraire de sa carrière de skieur extrême, aux éclats très différents. Un enchaînement dément, réussi à grand renfort d'hélicoptère ; une descente d'exception, réalisée dans la plus pure tradition « holzérienne ».
Film descente de Jean-Marc Boivin et Jean Afanassieff
Le 17 avril 1987, à 10 heures du matin, Jean-Marc décolle de l'altiport d'Argentière. Le menu de la journée est gargantuesque :
- En amuse-gueule, la première descente à skis de la face sud-est de l'aiguille du Moine (3412m) : une paroi rocheuse en été, mais bien enneigée ce printemps-là.
- Pour plat de (forte) résistance, la descente la plus improbable jamais imaginée : le versant sud du Dru, obélisque de granite, que l'idée de skier semble aussi naturelle que de pratiquer du pédalo au Sahara.
- Le plateau de fromages est servi au sommet de l'aiguille Verte : une fine tranche de corniche conduit notre convive au couloir Whymper, qu'il avale d'une traite.
- Le dessert s'annonce copieux, une belle meringue de mille mètres de haut, le versant nord-est des Courtes (3 856 m).
- Il est 17 heures quand le café est avancé : il aurait été dommage de ne pas s'offrir un bon cappuccino italien, suivi d'une petite grappa. Le versant valdôtain des Grandes Jorasses (4 208 m), 2 600 mètres de dénivellation, corsé à souhait, avec sa crème de séracs, se marie bien au parapente, digestif idéal pour gagner la ville de Courmayeur.
Il est dix huit heures quand Jean-Marc quitte la table pour se dégourdir les jambes. 5 000 mètres de dénivellation, dont 4 000 sur des pentes entre 45° et 60°.
Un film tourné pour la télévision raconte cette aventure. Combinaison orange et jaune, lunettes de glacier, bandeau turquoise dans les cheveux, Boivin frôle la catastrophe à trois reprises. Dès la descente du Moine, le ton est donné. La neige est encore dure mais, s'il veut réussir son coup, le Dijonnais ne doit pas traîner. «Ses carres sont affûtées comme des rasoirs. Sur une piste normale, il serait impossible de virer avec.»
Le commentaire se veut rassurant, mais la première pente, flirtant avec les 60°, est un sévère terrain d'échauffement. Après quelques virages bien maîtrisés, Jean-Marc est tout proche de prendre appui sur le flanc de sa chaussure amont — la chute assurée— et se récupère d'un coup de rein. Beaucoup de spécialistes de la discipline verraient là un appel à la modération. Il reprend le cours de sa descente comme si de rien n'était.
Il est 11H15 : Boivin est au sommet des Drus: «Le truc le plus difficile que j'aie jamais imaginé. » Et personne ne lui reprochera de crâner quand il ajoute: « Jamais de voie aussi dure qui ait été tentée ; et de loin, je pense. » L'image est surréelle: un homme, skis aux pieds, sur la cime du grand Dru. Autour de lui, de tous bords, des parois de protogine orangée.
Il serait sur le clocher d'une église, la scène ne serait pas plus incongrue. L'itinéraire, Boivin l'a détecté deux ans plus tôt, quand il est venu ajouter dans sa musette la première descente du couloir en Y de l'aiguille Verte (encore une belle pièce). Il a vu une fine bande de neige qui rejoint le col des Drus, d'où une gorge étroite entaille la montagne jusqu'au glacier. Il sait qu'il ne coupera pas à un rappel, à mi-hauteur, avant déjouer à saute-mouton entre les barres rocheuses.
Les images de Jean Afanassieff et Roland Théron sont parmi les plus spectaculaires jamais tournées en pente raide. Boivin double le cameraman. Prise de vue plongeante : sous ses pieds, un chocard passe, comme si le skieur était lui aussi en plein ciel. Nouveau rappel, à l'ordre. La pente est méchamment forte : à la sortie d'un virage, il se rattrape in extremis d'un coup de main contre la neige. Le petit sifflement émis par le miraculé confirme yu' il a bien eu chaud aux fesses.
Dès le bond suivant, exécuté sans temps mort, l'homme a retrouvé tout son sang-froid. Un rappel de quatre-vingts mètres en fil d'araignée, et la dégringolade reprend, zigzagante, avec deux trois coups de pédalage sur le granite, avant de s'arrêter sur le glacier. Il est 13 heures. « Une descente suicide», résume le commentateur.
Quand il se jette du haut du couloir Whymper, la neige a bien ramolli, ce qui va lui sauver la mise: «Je suis parti complètement en déséquilibre. C'est possible uniquement en neige très molle. Sur neige dure, ça pardonne pas ce genre de faute. Tu pars en bas et c'est terminé. »
Jean Afanassieff lui demande de comparer avec les descentes du Moine et Drus. La réponse est rosse pour ses aînés :
« Techniquement, c'est à vaches par rapport aux autres… »
Jean Marc Boivin sur son enchaînement des cinq descentes dans la Journée
Quelques réalisations de Jean-Marc Boivin:
- Première ascension de l'Aiguille Verte, via la face nord directe, avec Patick Gabarrou, 1975
- Première descente à ski de l'éperon de Frendo sur l'aiguille du midi, 1977
- Première descente à ski de la face sud de Huascaran, 1978
- Speed solo escalade de la voie Schmid du Cervin, puis a réussi la première descente en ski sur la face est, 1980
- A volé un parapente de la crête sud-ouest de K2, du camp IV à 7600 mètres d'altitude, 1979
- A remporté le «Prix international de la vaillance dans le sport» pour la descente en deltaplane du K2, 1980
- Escalade en solo de l'Eiger, par la face nord et Harlin Direttissima, en 7,5 heures, 1983
- À 117 mètres, record du monde de profondeur en exploration sous-glaciaire au gouffre du grand Moulin, sous la Mer de Glace (mont Massif, France), 1986
- Ascension et descente des Quatre Glorieuses en une journée, escalade, ski, parapente et deltaplane, 1986.
- Première descente en parapente du mont Everest, plus le lancement du plus haut parapente et la descente la plus rapide du mont Everest, 1988
Boivin s'est également vu attribuer l'ouverture de 200 (!!) voies d'escalade sur glace et est largement reconnu comme l'un des pionniers du style léger et rapide de l'alpinisme contemporain.
Sa mort a été aussi dramatique que sa vie. Étant donné son flair pour l'aventure et son amour du vol, il ne sera pas étonnant qu'il soit l'un des premiers alpinistes à ajouter le BASE jumping à son répertoire. Le lendemain après avoir été la première personne à sauter en BASE Jump depuis le sommet de la plus haute chute d’eau au monde, Angel Falls, au Venezuela, Il a effectué un deuxième saut à la hâte dans le but de rejoindre un autre BASE jumper blessé en dessous. Il a été renvoyé dans les falaises et s'est immobilisé dans la cime des arbres. Ses blessures ont été fatales et il est décédé le 16 février 1990.